Le récit de voyage, qu’est-ce donc ?

Vous commencez à le savoir, chez l’Aquilon, nous sommes amateurs du récit de voyage. Mais qu’est-ce donc ? Au moment où nous écrivons ces lignes, l’appel à textes dédié à ce genre de septembre 2020 est en cours et nous avons reçu un certain nombre de textes.

Or, il s’avère qu’une large partie d’entre eux ne sont pas des récits de voyage. Nous vous avons fait part, il y a peu, de ce que nous recherchions dans un récit de voyage. Mais nous n’avons jusqu’ici pas défini ce genre. Répondons une bonne fois pour toutes à cette question.

Raconter le monde

Le récit de voyage est un genre codifié et précis dans lequel un auteur rend compte d’un ou de voyages, de ce qu’il y a vu, ressenti, des personnes qu’il a rencontré. En soi, cela signifie que le voyage a deux portées : didactique tout d’abord. Le récit de voyage revêt un aspect documentaire, éducatif presque. Il a également une portée universaliste. Cela signifie qu’il n’est pas centré sur l’auteur, mais sur ce qu’il perçoit du monde.

Ce n'est pas tant le voyageur que le voyage qui prime dans le récit de voyage.
Crédit photo : Free photos

Le récit de voyage se distingue du roman et de la fiction par son ancrage dans la réalité. Il ne s’aventure pas sur le sentier de la fiction. Il y a comme un contrat tacite entre l’écrivain et le lecteur, dans le cadre d’un récit de voyage. L’auteur s’engage à être une fenêtre sur le monde. De fait, les éléments fantastiques, purement fictifs et extraordinaires n’y ont pas leur place.

Ainsi, vous vous doutez bien qu’il ne suffit pas qu’il y ait un voyage dans un récit pour en faire un récit de voyage. L’Odyssée n’est pas un récit de voyage, pas plus que le Seigneur des Anneaux. Et pourtant, il est question de pérégrinations dans ces deux œuvres.

Pourquoi du récit de voyage ?

Le voyage n’est pas toujours allé de soi. Si aujourd’hui nous “consommons” du voyage, que nous sommes à quelques heures en avion du bout du monde, dans le passé, voyager nécessitait un réel investissement, tant financier qu’en termes de temps.

Pourtant l’homme a toujours eu cette inclinaison à la découverte. C’est là qu’arrivent les écrivains-voyageurs. Marco Polo, avec le Devisement du Monde (1299), Pétrarque et son Ascension du Mont Ventoux (1336), James Cook et ses Relations du voyage autour du monde (1768-1779)… ces auteurs ont permis à leur contemporains de s’ouvrir sur d’autres horizons.

Les deux mamelles de la littérature de voyage sont la curiosité et le souci de vérité. Ainsi, le nomade donne au sédentaire les nouvelles du monde. On touche alors au paradoxe du récit de voyage. Ces récits, parce qu’ils sont des témoignages sont écrits à la première personne. Pourtant, il ne s’agit surtout pas pour l’auteur de se raconter, de se représenter.

Formes du récit de voyage

Le récit de voyage est un genre qui englobe en son sein plusieurs formes. Journal de bord, carnet de voyage (illustré ou non…) sa principale caractéristique étant son détachement du monde de la fiction. Un carnet de voyage n’est pas mû par un fil narratif. C’est la nature du voyage, et les événements réels qui fondent la structure du récit.

Il y a un lien très étroit entre récit de voyage et exploration.
Crédit photo : Pexels

La lecture du carnet de voyage est une expérience particulière. Un récit de voyage alternant assez abruptement les phases “narratives” et les descriptions (de lieux, de coutumes, de personnes…) Encore une fois, il faut garder à l’esprit la dimension documentaire du récit de voyage. Voir le monde et le dépeindre. La description est importante car l’écrivain-voyageur doit pouvoir mettre des mots sur l’inhabituel. Il doit rapporter à des lecteurs d’un socle socio-culturel similaire au sien des pratiques et coutumes différentes en utilisant des termes et concepts connus de son lectorat.

Pour autant, un récit de voyage ne saurait se contenter d’être une simple énumération de faits. Un récit de vacances qui se contenterait de lister diverses activités ne peut être considéré comme un récit de voyage. Tout au plus un compte-rendu. L’écrivain qui voudrait relater son voyage doit tout d’abord se demander ce que son voyage lui a appris. Quel intérêt le lecteur trouverait-il à la lecture de son récit ? Comme tout texte, un récit de voyage a une orientation, un thème sous-jacent.

Par exemple, dans Nos Régions à la Bonne Franquette, Arthur Serres axe son récit sur la production alimentaires et nos habitudes. Dans Une Échappée en Calabre, Florence Neuville, qui connaît très bien l’Italie (son pays de cœur), en explore une région en la regardant en face sans se laisser détourner de sa réalité parfois crue. Le Rite de Leslie Köhler interroge à travers le voyage la difficulté de trouver sa place au sein de sa propre famille…

Lire, toujours plus loin…

Nous ne le répéterons jamais assez. La littérature de voyage est probablement le genre littéraire le plus généreux qu’il soit. C’est un genre qui, par essence, est tourné vers l’autre, vers l’ailleurs. De nos jours, il y a une forte demande de représentativité, dans les œuvres. Si on se laissait aller à philosopher, on pourrait supposer que ce besoin de retrouver son image dans les livres est lié à l’incertitude engendrée par une période de mutations et d’incertitudes.

Il n’y a rien de mal à vouloir retrouver une image de soi, de son identité, dans les récits que nous écrivons et nous lisons. Mais souvenons-nous du mythe de Narcisse. Il est dangereux de partir uniquement en quête de soi. La littérature de voyage nous amène à sortir de nous, à voir le monde et à apprendre à le connaître. À connaître l’autre.

Sources :

F.MOUREAU, Métamorphoses du récit de voyage, Actes du colloque de la Sorbonne et du Sénat, 2 mars 1985, Centre de recherche sur la littérature des voyages, Paris, Champion, 1986.

Récit de Voyage, relation reportage, www.cafe.umontreal.ca

S. REQUEMORA, L’espace dans la littérature de voyage, www.erudit.org

N. BOUAZANE, La Littérature de Voyage, www.e-litterature.net

Leave a Comment