La Prise du Kent : L’exploit de Surcouf
Que l’on juge donc quelle dut être la stupéfaction de l’équipage du Kent quand, au lieu d’apercevoir des ennemis écrasés, abattus, tendant leurs mains suppliantes et invoquant humblement des secours qu’on se propose de leur refuser, il voit des marins pleins d’enthousiasme qui, les lèvres crispées par la colère, les yeux injectés de sang, s’apprêtent, semblables à des tigres, à se jeter sur eux…
Voyages de Louis Garneray, Aventures et Combats, d’Ambroise-Louis Garneray.
Une fois n’est pas coutume, c’est aujourd’hui de combat, d’une bataille, que nous vous parlerons dans cet article dédié à ce qui est probablement l’une des plus belles victoires de la marine française, au point même que l’on en fit une chanson (Au 31 du mois d’Août). Il s’agit de la Prise du Kent par la Confiance, le navire commandé par le corsaire malouin Robert Surcouf, bataille qui eut lieu en octobre 1800.
Les belligérants
Qui dit combat, dit combattants. La bataille que se livrèrent le Kent et la Confiance était une bataille entre France et Angleterre. L’Angleterre était alors une puissance maritime implacable, présente sur les mers avec force. Son ennemie presque héréditaire, la France ne pouvait prétendre à une telle hégémonie. Mais elle pouvait compter sur ses corsaires. Parmi eux, deux se distinguaient particulièrement par leurs compétence et leur rivalité : Dutertre et le malouin Robert Surcouf.
Surcouf était déjà, au moment de la prise du Kent, auréolé de gloire. Il est présenté à Louis Garneray comme étant le seul homme qui “sache dominer la chance et commander au hasard”. Force est de constater que cette réputation n’est pas usurpée, et que le temps que Garneray passera avec Surcouf sur le pont de la Confiance, est probablement celui dans lequel notre malchanceux protagoniste est le plus heureux.
Surcouf n’est pas seulement intrépide et fort. Cet homme, décrit comme étant massif, à l’air bonhomme, au franc parler rafraîchissant et à la stature héroïque était également un fin tacticien, en dépit de sa nature de tête brûlée.
La Confiance, son navire, est une petite corvette, un trois-mâts armé de dix-huit canons. Long de 39 mètres, d’un tonnage de 491 tonneaux, ce navire, fabriqué à Bordeaux, a été conçu pour la course. Et sous le commandement de Surcouf, la Confiance remplit bien son rôle. Son chemin croise celui du Kent, un Indiaman anglais.
Un Indiaman est un navire affrété par la Compagnie Anglaise des Indes Orientales. Le Kent, commandé par le capitaine Rivington, semble tout à fait apte à écraser la Confiance. Jugez plutôt : le Kent affiche fièrement ses 1200 tonneaux et ses 40 canons. par ailleurs, il transporte 450 personnes là où Surcouf commande à 150 corsaires. Qu’est-ce qui peut mal se passer ?
Le rusé renard des mers.
Surcouf, nous le disions plus tôt, est un fin tacticien. Et au vu des forces en présence, il est évident que bourriner le Kent est une mauvaise idée. L’Anglais est bien conscient de sa supériorité, au point qu’il invite même des spectateurs à voir sombrer le navire de Surcouf, provoquant ainsi les corsaires.
Surcouf, après avoir excité l’ardeur de son équipage, leur promettant notamment de toucher durant deux heures la Part du Diable (comprendre le pillage) décide d’éviter un duel d’artillerie, qui serait perdu d’avance. Après un ballet marin, la Confiance parvient à se placer en position d’abordage. Le Kent ne peut plus faire feu avec ses canons, c’est à l’arme blanche que se règlera le conflit.
Celui-ci est sanglant. Pendant une heure et demie, la bataille fait rage. Les Anglais, qui voyaient d’un air moqueur les Français, déchantent. C’est une armée de fous furieux qui débarque sur leur pont. L’équipage du Kent se défend avec bravoure, mais ne parviendra pas à défendre son navire. Le capitaine Rivington succombe à la bataille.
Lorsque retombe la poussière de la bataille, l’équipage de la Confiance est victorieux. Le navire est capturé. Les passagers, comme il est de coutume avec le corsaire malouin, seront très bien traités. Au point, d’ailleurs, que Surcouf gagnera l’amitié du margrave d’Anspach, dont la fille, une princesse allemande, se trouvait à bord du Kent.
Conclusion
Parbleu, mes amis, nous dit Surcouf après ces explications, savez-vous, qu’amour-propre mis à part, nous pouvons nous vanter entre nous d’avoir assez bien employé notre journée ? Il nous a fallu escalader, sous une grêle de balles, une forteresse trois fois plus haute que notre navire, et combattre chacun trois Anglais et demi ! Ma foi, je trouve que nous avons bien gagné les grogs que le mousse va nous apporter !
Voyages de Louis Garneray, Aventures et Combats, d’Ambroise-Louis Garneray
La Prise du Kent est une bataille mémorable de l’histoire militaire française. Véritable exploit de Robert Surcouf, cette bataille, comme tant d’autres, a contribué à renforcer la légende du corsaire de Saint-Malo qui à lui seul, faisait trembler la couronne d’Angleterre. Cette victoire glorieuse a donné lieu à une chanson : Au 31 du mois d’Août.
La bataille est par ailleurs racontée dans ses moindres détails par Louis Garneray, qui y a participé. Vous pourrez par ailleurs retrouver son récit et d’autres encore, dans notre édition de Voyages de Louis Garneray, Aventures et Combats, disponible dans notre catalogue.
Sources :
J. OLLIVIER, Surcouf, le roi de la course, Editions G.P., collection Olympic, 1969
C. ROUVIER, Histoire des marins français sous la République, de 1789 à 1803, Arthus Bertrand, 1868
G. LE MOING, La Confiance, corvette de Surcouf, Chasse-Marée n°301, 2020