Récit épistolaire et voyage : Lettres venues d’ailleurs…

Tu gardes précieusement tous mes feuillets du journal : de mon côté, je n’ai pas d’autres repères, ce seront mes seuls souvenirs écrits de ce voyage. J’espère que l’ardeur que j’ai à écrire aujourd’hui ne va pas se tarir au fur et à mesure que j’avancerai dans ce voyage.

16 000 km en Autobus à Travers le Brésil, de Michèle Velghe-Descossy

Il existe un lien très fort entre récit épistolaire et littérature de voyage. Si bien sûr, le genre épistolaire n’est pas cantonné à la littérature de voyage (on pense aux Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos, ou aux Lettres Persanes de Montesquieu), il faut admettre néanmoins que le courrier est lié fortement à la notion de voyage. En effet, une lettre, par nature, voyage. C’est un écrit qui réduit la distance entre deux êtres éloignés. Si aujourd’hui le téléphone, les mails et les blogs ont supplanté les cartes postales et la correspondance, il fut un temps où voyager, c’était aussi écrire.

Le récit épistolaire repose sur le courrier
Crédit photo : Andrys Stienstra

16 000 km en Autobus à Travers le Brésil, de Michèle Velghe-Descossy est un récit de voyage constitué de quinze lettres envoyées par l’autrice à ses amies lors de son voyage au Brésil en 1988. Le récit épistolaire étant très lié à la littérature de voyage, c’est tout naturellement que nous nous sommes penchés sur ce genre. Aussi, ce n’est pas une destination que nous explorerons, dans cet article. Nous allons réfléchir sur le récit épistolaire.

Le récit épistolaire dans un genre du mouvement.

La littérature pérégrine trouve sa fondation dans la Grèce antique. En effet, on considère que l’Enquête d’Hérodote et l’Odyssée d’Homère sont les précurseurs de la littérature de voyage. Dans l’Enquête, Hérodote parcourt le monde antique afin d’en reconstituer l’histoire. Quant à l’Odyssée, c’est bel et bien un périple qui est raconté. Récit d’un voyage dont le narrateur n’est autre que le voyageur : Ulysse lui-même.

Quand on y réfléchit, un récit de voyage, même sous la forme d’un journal ou d’un carnet est un écrit d’un voyageur qui s’adresse à des lecteurs, généralement du même pays, et ayant une culture commune. L’auteur partage son vécu, ses expériences et ses découvertes avec le lecteur. C’est un peu ce que nous faisons quand nous rédigeons une lettre, ou même une carte postale. La notion de distance est primordiale. Ainsi, l’auteur réduit l’éloignement avec le lecteur par les mots. Il y a donc une certaine notion qu’on peut rapprocher de la correspondance, dans le récit de voyage.

De la boite aux lettres au récit épistolaire...
Crédit photo : S. Hermann & F. Richter

La littérature de voyage est un genre protéiforme. Le genre, mais aussi les auteurs évoluent en fonction de l’histoire. Ainsi, certains récits de voyage sont des journaux. D’autres sont des récits épistolaires, ou des carnets. Quant aux auteurs, les explorateurs ont laissé leur place aux missionnaires, aux marchands, aux émissaires, aux militaires, aux touristes… La disparité est le maître mot du récit de voyage, qui peut être un écrit scientifique, géographique, historique, anthropologique ou artistique. C’est un genre en mouvement.

Particularité du récit épistolaire

Par son aspect intime, le récit épistolaire est à rapprocher du journal. En effet, dans les journaux comme dans les lettres, l’auteur livre sa vision, son ressenti, sans passer par des artifices narratif. Il résulte donc un rapport plus direct entre le destinateur et le destinataire du texte. Selon le philologue Jacques Clocheyras, la différence majeure entre les deux est que le journal est “placé sous le signe de la solitude au moins morale et spirituelle”.

La littérature de voyage est généreuse par nature. Elle est tournée vers l’autre. Le récit épistolaire appuie encore une fois ce rapprochement entre l’auteur et le destinataire. En effet, l’auteur s’adresse directement à son destinataire. Le destinateur nomme le destinataire.

Le lien entre l’auteur et le lecteur transcende les distance. L’écriture épistolaire a une dimension intime qui place souvent auteur et lecteur dans un schéma de complicité. Ainsi, il n’est pas rare que l’auteur invite le lecteur à lui emboîter le pas, à le rejoindre ou à voir par lui-même ce qu’il voit. La littérature épistolaire réserve une place centrale au lecteur.

Pourquoi des lettres ?

Le récit épistolaire permet à l’auteur de rendre compte de la situation du pays visité. Par ailleurs, l’auteur est un témoin direct, présent sur place. Une lettre doit reproduire fidèlement le réel. Dans Le Rhin, Victor Hugo parle des lettres comme un “certificat de voyage, de passage et de présence”. On pensera ainsi aux lettres de Rimbaud dans Voyage en Abyssinie et au Harrar, où l’auteur présente avec précision la situation politique de la région. Il tire sa légitimité de sa présence sur les lieux.

Par ailleurs, la lettre peut occuper une fonction didactique. Ainsi, l’auteur y fait état des conditions dans lesquelles il voyage. La proximité avec le destinataire peut en effet l’amener à aborder des détails qui seront probablement laissés de côté dans un journal, ou un carnet de voyage.

Le récit épistolaire, une façon de dépeindre le monde.
Crédit photo : Wortflow

Enfin, le destinateur et le destinataire partageant les mêmes références culturelles, il sera plus simple pour l’auteur de mettre en parallèle celles-ci avec ses découvertes, afin de clarifier le propos. Bien entendu, ce n’est pas une prérogative du récit épistolaire. Mais le destinataire étant clairement identifié par le destinateur, les références utilisées auront plus d’impact sur le premier lecteur : celui à qui est destiné la lettre.

Conclusion

Il y a incontestablement des liens très étroits entre le récit de voyage et la correspondance, les lettres. Le récit épistolaire est une évidence dans la littérature de voyage. Il existe une certaine poésie, dans l’acte de l’envoi du courrier. Les mots s’envolent littéralement, couvrent les kilomètres, pour arriver à ceux à qui on les destine. Les lettres contribuent à la littérature pérégrine, le format se prête tout à fait au récit de voyage.

16 000 km en Autobus à Travers le Brésil, de Michèle Velghe-Descossy est un texte qui a littéralement traversé les années. Le récit épistolaire a cette faculté de préserver son temps. On y retrouve, dans le texte, une spontanéité de l’instant. C’est probablement pourquoi à la lecture, le texte reste aussi frais, si palpable.

Couverture de 16000 km en Autobus à Travers le Brésil récit épistolaire de Michèle Velghe-Descossy
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La littérature, quel que soit le genre, a la faculté de connecter entre eux les individus. Le récit épistolaire, c’est principalement cela. De la littérature.

Sources :

LEBEL, J. Littérature de voyage et genre épistolaire au XVIe siècle in Bulletin de l’Association Guillaume Baudé, 2000

DEPRETTO, L. Écriture du voyage et pratiques épistolaires, Acta fabula vol.8, n°6, Novembre-Décembre 2007

AL-HAJEBI, A. Epistolary travel strories in Arabia in the 18th century in Estudios Romanicos, Vol.28, 2019

MAGRI-MOURGUES, V. L’écrivain-voyageur au XIXe siècle : du récit au parcours initiatique, 6èmes Rencontres Méditerranéennes du Tourisme (RMT), Festival TransMéditerranée (FTM), Jun 2005, Grasse, France

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