Focus sur Lalla Zineb, la maraboute insoumise

Dans les prunelles noires de ses yeux au regard très doux, la flamme de l’intelligence brûle, comme voilée par une grande tristesse.

Isabelle Eberhardt, Notes de Route, Chap. Visite à Lélla Zeyneb.

L’Insoumise, c’est ainsi qu’on surnomme Lalla Zineb, personnage intriguant que rencontre Isabelle Eberhardt, et dont elle parle dans ses Notes de Routes. Les êtres singuliers rencontrés par l’aventurière sont nombreux, pourtant, c’est bien Lalla Zineb qui se démarque le plus, dans cette succession de portraits.

Lalla Zineb, cheffe de la zaouïa d'El Hamel

La Zaouïa d’El Hamel

Les Zaouïa sont des édifices religieux musulmans abritant les confréries soufies (mouvements mystiques et ésotériques de l’islam). Il s’en trouve de nombreuses en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Les Zaouïa sont dirigées par des Cheikhs, qui ne reconnaissent aucune puissance temporelle au-dessus d’eux. Ils sont secondés par les Califes, eux-même situés, dans la hiérarchie, au-dessus des Muqaddam (ou Chaouch).

La Zaouïa d'El Hamel

Crédit photo : Yellès Arif

C’est à la Zaouïa d’El Hamel, au Nord de l’Algérie, près de Bou Saâda, dans la Wilaya de M’Sila, que se rend Isabelle Eberhardt. Cette Zaouïa, la plus renommée dans le pays, appartient à la confrérie des Rahmaniya.

Située sur la rive gauche de l’Oued Bou Saâda, le bâtiment est impressionnant. Massif, il fait penser à une forteresse. C’est au XIXe siècle que la Zaouïa est fondée, par Sidi Mohammed Belkacem. À sa mort, c’est sa fille, Lalla Zineb, qui lui succède.

Un lourd héritage

Si aujourd’hui, la maraboute est comme effacée de la mémoire en Algérie, le personnage intrigue, notamment au Etats-Unis. Ainsi, l’université de Berkeley lui a consacré une étude. Par ailleurs, la journaliste Helen Gordon (1909-1988, fondatrice du magazine Elle, sous son nom d’épouse Hélène Lazareff) avait visité la Zaouïa.

C’est en 1877 que le Cheikh de la Zaouïya, Sidi Mohammed Belkacem se rend chez le Cadi de Tamsa pour y rédiger son testament. Celui-ci fait l’effet d’une bombe et pour cause : c’est à sa fille Zeineb qu’il lègue tous ses biens. Un héritage bien lourd à porter.

La Zaouïa est importante, et le gouvernement colonial le sait. Désireux de mettre son grain de sel dans la succession du cheikh, il dépêche le capitaine Crochard (pas celui de Peter Pan) afin d’enquêter sur Sidi Mohammed Bel Hadj Mohammed, le neveu du Cheikh déclinant. Il ressort de ses investigations que l’homme est acquis à la cause de la France, et représente donc un candidat idéal, bien qu’il soit jugé “ambitieux, orgueilleux, et enclin à l’excès”.

Le candidat de l’armée coloniale ne fait pas l’unanimité auprès des adeptes de la Zaouïa, qui le considèrent comme étant “rapace” et “avare”. À la mort de son oncle, Sidi Mohammed Bel Hadj Mohammed se voit déjà Cheikh à la place du Cheikh, mais il se heurte à un mur. Et quel mur ! Sa cousine, Lalla Zineb, munie du testament de son père.

Une délicate affaire de famille

Lalla Zineb est une candidate tout à fait crédible. Elle est instruite, a eu accès à la bibliothèque de son père, profité de ses récits de voyage, et fait montre de connaissances théologiques pointues. Son cousin tente bien de prendre la Zaouïa par la force en l’enfermant, mais ça ne prend pas.

Il a beau haranguer la foule, les adeptes penchent pour Lalla Zineb, qui est une meilleure candidate. Et la ressemblance avec son père aide beaucoup. On peut aussi supputer que c’était aussi un camouflet adressé à l’administration coloniale française.

Lalla Zineb, une femme contre l’armée

Le gouvernement colonial a pris le coup de plein fouet. Crochard écrit “cette femme a détruit tout ce que j’ai mis en place”. L’hypothèse d’une intervention militaire pour destituer la “rebelle” est évoquée, mais l’armée se ravise et envoie le capitaine Crochard parlementer avec Lalla Zineb pour la “ramener à la raison”. Sans succès. La femme retourne contre lui le droit colonial, menaçant de porter plainte contre lui.

El Hamel, en 2013
Crédit photo : Yellès Arif

Sidi Mohammed revient à la charge et propose à sa cousine de l’épouser, afin de partager le pouvoir. Mauvaise idée. Elle refuse et se met à concevoir une haine sans bornes pour lui, lui déclarant la guerre. Elle lui interdit l’accès à plusieurs zones de la Zaouïa et défend le personnel et les étudiants de lui obéir. Sa colère ne s’arrête pas là. Rejetant le mariage, elle crie son voeu de chasteté à tout jamais.

Elle finit par porter plainte contre son cousin et l’armée française, représentée par l’avocat Guadeloupéen Maître Maurice l’Admiral, en mettant en avant la promesse qu’avait faite la France de “respecter les populations indigènes”. Bien consciente qu’il était impossible d’affronter l’administration coloniale par les armes, c’est par la politique que Lalla Zineb a fait valoir ses droits. Et elle triomphe.

C’est en 1902 qu’arrive à la Zaouïa une personne atypique, une jeune femme grimée en homme : Isabelle Eberhardt.

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Sources :

Lalla Zineb, l’insoumise à la tête d’une grande zaouïa en 1897, de Mohammed Kacimi El Hassani publié dans El Watan (20/04/2013)

Le gouverneur et le Cheikh de la zaouïa. La succession du Cheikh Belqacem de la zaouïa d’El Hamel (1897-1912) de Tayeb Chenntouf, publié dans Cahiers de la Méditerranée (1990)

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