[Interview] Geoffroy Barby, écrits du bout du monde (partie 1)
Avec Crickey!, son ambitieux récit de voyage, Geoffroy Barby nous embarque au cœur de l’Australie. À l’occasion de la sortie de Crickey! Vol.1 et 2, nous avons interviewé cet auteur à la plume généreuse et humaniste.
1/ Bonjour Geoffroy Barby, et merci d’avoir accepté de vous prêter au jeu de l’interview. Crickey! est votre première expérience d’écriture. Quel regard portez-vous sur cette œuvre, aujourd’hui ?
Geoffroy Barby : C’est un regard terriblement nostalgique ! (rires) Je dis terriblement parce que la nostalgie est justement une émotion à double effet. C’est à la fois un merveilleux raviveur d’émotions éteintes mais aussi le désolant constat d’une époque révolue. La véritable richesse d’une vie c’est justement de vivre des choses et donc a posteriori d’avoir des souvenirs qui nous rappellent qu’on a vécu. Je porte également un regard plein d’affection sur ce récit. Il est une preuve matérielle des évènements d’une partie de ma vie qui a largement contribué à faire de moi l’homme que je suis aujourd’hui.
À aucun moment dans ce livre je n’ai cherché à me faire passer pour un autre. À l’origine, ce livre était destiné à mon cercle privé. En résulte donc un récit authentique qui traduit sans ambages la personne que je suis. C’est le reflet de celui que j’étais au moment de l’écriture : un jeune homme qui finalement ne connaissait rien à la vie mais qui a pris la décision de la découvrir. Je pense d’ailleurs que le lecteur me verra grandir entre le début du récit et sa fin, un an plus tard.
2/ Vous n’étiez pas un grand lecteur, avant ce voyage en Australie, et l’êtes devenu en écrivant Crickey! L’Australie aurait-elle révélé un littéraire qui s’ignorait jusque-là ?
Geoffroy Barby : J’ai toujours eu une certaine sensibilité à la formulation des mots justes pour exprimer une émotion, ce que j’ai découvert au lycée pendant les cours de philosophie. J’aimais la capacité des mots à faire vibrer l’âme au point de susciter une réaction physique qui pouvait se traduire par de l’adrénaline ou même des larmes. J’étais adolescent, à cette période on vit tout très intensément. J’ai depuis gardé cet amour pour la résonance des mots mais je devais être trop fainéant pour me plonger dans un tas de feuilles écrit par un autre.
Mais quand j’ai compris qu’il était dans mon intérêt de lire les mots des autres pour pouvoir formuler les miens avec plus de justesse j’ai commencé à acheter mes premiers livres. J’ai d’abord choisi des récits de voyage sur les destinations que je connaissais. Ce fut une révélation. Ce qui m’avait détourné de la lecture tout ce temps ce n’était finalement pas le manque d’envie de lire mais plus simplement les 1200 pages imposées des Essais de Montaigne par un professeur. Le fait est que plus tard je finirais par apprécier toutes les littératures mais si l’approche se fait par le biais de l’obligation, de l’ennui et du déplaisir, il est clair qu’on n’a pas vraiment envie de recommencer. Par contre, une fois la porte d’entrée ouverte, on ne peut plus la refermer.
3/ Crickey! est une œuvre très complète, qui a nécessité un énorme travail. Combien de temps a duré le processus d’écriture ?
Geoffroy Barby : Le processus a duré environ 5 ans parce que je ne voulais pas m’y atteler par contrainte et que j’avais repris le cours de ma vie entre travail et responsabilités familiales. Se forcer à l’écriture ne donne dans mon cas pas grand-chose de concluant. Aussi il fallait, sur mon temps libre, que je sente l’inspiration poindre ainsi que le désir de me replonger dans le passé. Et puis il a fallu se documenter, lire beaucoup. Je partais de rien et je savais ne pas vouloir bâcler l’ouvrage en le traitant trop rapidement.
Il y avait certes le besoin de noter au maximum les détails qui pouvaient me rester en mémoire et que je n’avais pas écrit sur l’instant avant de les oublier mais le gros du travail de structuration devait se faire à mesure que le voyage continuait d’agir sur ma propre construction en tant qu’homme. Le voyage est merveilleux car il continue de vous faire grandir longtemps encore après qu’il se soit terminé. Je voulais être sûr d’y avoir dit tout ce que j’avais à dire.
C’est un peu le syndrome de l’écrivain. On pense toujours pouvoir faire mieux et on retravaille son texte encore et encore. Et enfin vient le jour où on pense qu’il est temps. Ce n’est jamais parfait puisqu’on évolue constamment, mais enfin vient l’instant où on se sent prêt à laisser son bébé naître pour qu’il n’appartienne plus seulement à soi. Aussi parce que tant que ce n’est pas fait il est difficile de passer à autre chose. Peut-être était-ce aussi que je n’avais pas envie de me dire trop vite « ça y est, c’est derrière moi ! »
J’étais totalement inexpérimenté, et mettre au monde c’est justement offrir au jugement des autres. Il est indéniable pour quelqu’un qui n’est pas écrivain que cet aspect de « mise à nu » fait très peur. On n’est jamais préparé, en tant que débutant, à essuyer des critiques potentiellement négatives, surtout sur quelque chose d’aussi intime qu’un récit sans coupe d’une année de vie. J’ai eu peur de la réaction de ma famille, de mes amis. Peur que ce soit mauvais ou pire encore, de susciter l’indifférence. C’était inévitable, j’ai pris quelques claques et mon ego en est parfois ressorti rougi. Mais j’ai aussi eu de vrais élans positifs et si je l’avais sorti plus tôt je n’aurais sans doute pas eu la maturité nécessaire de me dire « voilà ce que j’ai fait, c’est imparfait mais c’est moi, simplement ».
4/ On ressent clairement une volonté d’exhaustivité dans votre récit. On trouve dans Crickey! bien entendu un « compte-rendu » de vos péripéties, mais le texte a également une dimension documentaire très forte. Avez-vous essayé de « mettre l’Australie dans une capsule » ?
Geoffroy Barby : Il faudrait alors une capsule de la taille de l’Europe ! (rires) Cette exhaustivité a une origine tout à fait égoïste. Je sais par expérience que le temps a tendance à émousser le souvenir et donc à en modifier partiellement la véracité « historique ». Si j’ai cherché à prendre beaucoup de notes lors de mon voyage c’est avant tout dans un souci de garder par écrit un maximum de détails pour éviter justement que de ce voyage ne reste, dans plusieurs années, que l’idée empreinte de nostalgie des moments les plus mémorables.
J’accorde aujourd’hui autant d’importance aux grandes lignes des moments qui ont marqué ma mémoire de manière indélébile qu’aux petites choses insignifiantes que j’ai déjà oubliées et que je vais continuer d’oublier – c’est inévitable – et qui, lorsque je les relirai auront d’autant plus de charme parce que justement l’action de lecture me les remettra en mémoire.
Plus tard, lors du processus de mise en forme, ce souci du détail a eu pour but de fabriquer dans l’esprit du lecteur qui serait amené à me lire une image la plus nette possible. Je crois sincèrement que pour vivre un voyage par procuration comme le fait le lecteur, il faut pouvoir s’imprégner du ressenti de l’auteur sur la globalité du vécu et pas uniquement sur des moments forts triés sur le volet.
J’aurais pu faire le « best of » de mon aventure pour que l’ouvrage tienne en 20 pages et que le lecteur puisse en lire l’intégralité en attendant le bus mais on se parle d’une aventure d’un an qui fut d’une richesse incroyable à vivre. J’ai voulu retranscrire cette richesse pour que le lecteur y gagne quelque chose. Pour vivre quelque chose à fond, il faut le temps de l’immersion pour laisser justement le temps aux émotions de se construire. On ne prend plus le temps de rien à notre époque et c’est dommage.
Pour la dimension documentaire il est évident que j’y ai aussi vu l’intérêt du lecteur. Raconter ma vie d’un strict point de vue personnel aurait été sans intérêt pour la plupart hormis pour les personnes de mon entourage pour qui j’ai au moins pu satisfaire ce désir un peu voyeuriste de savoir ce que j’avais bien pu vivre tout ce temps sans eux.
Pour tous les autres, et je pense notamment que ceux qui feront la démarche de lire Crickey ! ont pour projet de partir découvrir ce pays incroyable – ou un autre car la démarche reste la même quelle que soit la destination-, j’ai voulu bien sûr donner un maximum de clés pour appréhender au mieux le voyage. Les astuces de backpackers comme l’aspect culturel du pays doivent permettre de servir de guide pour éviter les embuches et surtout apprécier l’exil dans tout ce qu’il a de fondateur pour l’âme. C’est aussi pour cela que je ne développe pas tant mon propre ressenti que les outils qui permettent de déclencher ces émotions.
Je pense que ce qui intéresse davantage le lecteur qui ne me connait pas personnellement c’est de ressentir ses propres émotions à la lecture de mon récit ou en tout cas de pouvoir imaginer ce que lui-même ressentirait dans pareille situation.
5/ Quel regard portez-vous sur la littérature de voyage aujourd’hui ?
Geoffroy Barby : La littérature de voyage est probablement la littérature la plus abordable tant du point de vue du lecteur que de l’écrivain. Tout le monde peut s’improviser écrivain de voyage puisque ce genre d’écriture ne fait appel à aucune capacité particulière d’invention et d’imagination. Il s’agit simplement de mettre en ordre des évènements vécus. Encore faut-il cependant arriver à structurer ses idées et ses notes pour rendre cohérent l’ensemble et surtout le rendre « transparent » pour que le lecteur puisse vivre par procuration les pérégrinations de l’auteur. Pour le lecteur c’est une manière d’aborder la lecture par une approche « simpliste » – pas au sens péjoratif du terme – car bien souvent l’ouvrage de voyage revêt un aspect factuel qui se traduit par une mise en mots du parler courant très accessible.
Les grands explorateurs ne sont pas de grands écrivains au sens littéraire du terme, c’est ce qui rend leurs œuvres plus populaires. Elles touchent le plus grand nombre par leur vérité qui n’est pas sujette à interprétation ou réflexion particulière. Le récit de voyage c’est vraiment la littérature du peuple au sens noble et par définition non élitiste. Elle fait vibrer chez le lecteur son âme de voyageur. Elle attise chez celui qui n’a pas encore eu la chance de découvrir le monde cette envie irrépressible d’ailleurs. Chez celui qui a déjà pu parcourir les chemins du dépaysement, elle ravive des plaisirs et des sensations souvent étouffées par la sédentarité forcée que notre modèle de société nous « impose ».
Pour comprendre notre monde, y trouver sa place et s’y sentir bien, il faut l’arpenter en long en large et en travers. Le voyage construit l’humanité de chacun. Le contact avec les autres et leurs cultures, c’est la connaissance et donc le respect de l’autre. L’ignorance fait des ravages. Et si elle peut se combattre en ouvrant un livre il faut, autant que possible, se confronter à la réalité du monde en le parcourant.
Retrouvons très bientôt Geoffroy Barby pour la suite de cet entretien !
Crickey Vol.1, de Geoffroy Barby est disponible dans notre catalogue de livres numériques.