Les éditeurs doivent-ils payer les chroniqueuses ?

Dans cet article un peu particulier, nous avons décidé de nous pencher sur une question qui semble faire débat, et qui a son importance : Les éditeurs doivent-ils payer les chroniqueuses quand ils leur proposent des Services Presse (ou SP). Il est difficile de développer un argumentaire à coups de réflexions de 240 caractères, et le sujet est explosif. Cet article vise à clarifier notre position, mais également à permettre un droit de réponse pour les éditeurs.

En préambule, il est important de préciser que les débats sont souvent évités par les éditeurs, car la place d’une maison d’édition n’est pas de se plonger dans des discussions qui ne peuvent que s’envenimer, mais de commercialiser les livres de leurs auteurs. Le seul but d’une maison d’édition, c’est de trouver des lecteurs aux livres de ses auteurs, non de pérorer.

Mais le mutisme général de la profession lui porte préjudice, la volonté des professionnels d’arrondir les angles, de ne pas froisser un lectorat potentiel permet une déferlante d’affirmations souvent erronées, par méconnaissance du milieu souvent, par malveillance, rarement.

Qu’est-ce qu’une chronique ?

Voilà la première question, essentielle. Qu’est-ce qu’une chronique ? Quel est sont but ? Là déjà, la confusion règne. Il est admis communément qu’une chronique est un moyen de faire de la communication autour d’un livre. Une chroniqueuse est là, selon l’avis général, pour mettre en lumière un livre.

Ce n’est pas notre avis. Peut-être nous trompons-nous, mais quand nous faisons appel à une chroniqueuse, il ne s’agit pas de lui demander de faire de la publicité pour un livre. Il y a déjà un corps de métier qui existe pour cela, et qui est extrêmement efficace : les publicitaires. Alors, pourquoi faire appel à des chroniqueurs ?

Pour cela, nous allons vous proposer une image. Amazon. On va visualiser Amazon comme un magasin physique, avec des murs. À quoi ressemblerait-il ? À un magasin qui vend de tout… sans vendeur. Dans une librairie, à la Fnac ou Cultura, vous avez des vendeurs qui sont capables de vous aiguiller, de vous dire si tel ou tel livre vous plaira. Mais Amazon ne vous le dira pas, il “sous-traite” cet aspect aux commentateurs.

Les commentateurs, il en existe de deux sortes sur Amazon. Ceux qui ont acheté le “produit” (mention “achat vérifié” à l’appui), et ceux qui ne l’ont pas acheté. Bien évidemment, il vaut mieux se fier à l’avis de ceux dont on est certain qu’ils ont acheté les produits. Mais ceux qui ne l’ont pas acheté peuvent avoir mis la main sur celui-ci par un autre biais : les service presse.

Une chroniqueuse, ou un chroniqueur, n’est pas un auxiliaire de communication, c’est un médiateur culturel. Généralement, cette personne a une communauté plus ou moins forte qui lui accorde sa confiance, donnant au chroniqueur un argument d’autorité. Plus le chroniqueur a d’influence (par la pertinence de ses chroniques, sa connaissance pointue d’un genre ou autre…) plus cet argument d’autorité devient fort.

Prenons un exemple concret pioché dans le cinéma. Peut-être connaissez vous le Fossoyeur de films, ou Karim Debbache. Ces deux youtubeurs, par leurs vidéos qualitatives et érudites, sont d’office considérés comme des références. Leur avis sur un film a un impact, et leur public aura tendance à suivre leurs recommandations.

Une chronique est une réponse à une seule question. Ce livre est-il bien ?

Independance Day

Les chroniqueuses s’adressent donc à un lectorat qui lui accorde sa confiance dans leur jugement. C’est un sacré pouvoir, car un avis livre peut influencer le succès ou non d’un livre. Un livre qui affiche une note d’1/5 étoile sur Amazon n’aura aucune chance de succès, sur cette plateforme, à l’inverse, un livre qui collectionne les bons avis a plus de chances de devenir un best-seller (car mis en avant sur les sites marchands, et donc plus accessible).

Les chroniqueuses ont donc un effet indirect (selon leur influence ou non sur leur communauté), mais clairement palpable sur le succès ou non d’un livre. Mais cet effet repose sur la relation de confiance qu’une chroniqueuse entretient avec son public. Cet argument pourrait aller dans le sens qu’il faut que les éditeurs payent les chroniqueurs.

Les chroniqueuses ne visent pas à faire de la publicité. C'est un intermédiaire entre le lecteur et le livre.
Crédit photo : Edar

En effet, de nombreux livres (surtout chez les acteurs modestes du livre en fait, car un colosse de l’édition dont la marque existe depuis plus d’un siècle et qui propose ses livres dans plusieurs pays, et dans plusieurs langues n’a en vérité que faire de tout ce milieu) doivent leur succès à la mise en place d’un cercle vertueux venant d’une subtile association de réseaux et de chroniques bienveillantes.

Mais qu’en est-il lorsque le livre ne plaît pas ? Que la chronique est assassine, et qu’elle disqualifie l’auteur d’office ? Il faut savoir que l’éditeur a des responsabilités énormes vis-à-vis de ses auteurs, et que le fait de les transgresser peut coûter, selon les contrats, très cher aux éditeurs. Cela peut aller d’une rupture de contrat (douloureuse quand on a travaillé de concert avec un auteur durant de nombreux mois pour faire de son livre une réalité) à des poursuites judiciaires s’il est effectivement prouvé que l’éditeur a participé activement à ruiner les chances du livre.

Vous imaginez bien, donc, que jamais un éditeur qui rémunérerait une chroniqueuse n’acceptera de prendre des risques tels. Il proposera plutôt à la chroniqueuse un contrat béton avec des conditions strictes, afin que la chroniqueuse devienne un relais de communication. C’est ce qu’on appelle une publication sponsorisée.

Le contenu sponsorisé, c’est mal ?

Le contenu sponsorisé est légal, et c’est une pratique tout à fait légitime dont les youtubeurs se sont emparés (et ils ont bien raison). Il y a cependant une obligation légale d’indiquer que le contenu est sponsorisé. Le public doit savoir distinctement quand on lui propose de la pub.

Mais, pour être honnête, notre expérience (rappelons que le fondateur de cette maison d’édition a fait ses armes comme chroniqueur dans un autre secteur) démontre très clairement que le public devient de plus en plus réfractaire à ces publications sponsorisées. Quand on lit une chronique, on veut un avis sincère. Les publications sponsorisées ou “publireportages” sont utilisés avec parcimonie, parce qu’elles sont contreproductives. Pour les chroniqueuses, autant que pour les éditeurs. (C’est sponsorisé, donc c’est biaisé, se disent en général les lecteurs).

Quelques images pour étayer le propos : imaginez un restaurant, qui payerait ouvertement un critique gastronomique. Vous accorderiez une confiance aveugle au critique ? Trouve-t-il réellement la cuisine délicieuse, ou est-il payé pour le dire ? Admettons que vous appreniez qu’un studio de production de films paierait rubis sur l’ongle un critique cinéma. Rien ne vous choque ? Il en va de même pour à peu près tous les secteurs. Du jeu vidéo à l’art, en passant par la musique. Pourquoi le livre, produit culturel, dérogerait-il à cela ?

Paye ta chronique

La position de l’Aquilon est très claire concernant la rémunération des chroniqueuses : au risque de vous surprendre, on est pour. Même au-delà, on aimerait voir fleurir des sites de critiques littéraires, qui engloberaient (enfin) tous les genres, même ceux qui passent inaperçus. On veut un médiateur culturel dont le travail (de longue haleine) serait reconnu financièrement parlant.

Mais un médiateur culturel doit être neutre. Et pour cela, le financement ne pourrait pas venir d’une maison d’édition ou d’un auteur. Pourquoi ? Par principe, déjà. Mais les principes, ne sont pas suffisants. C’est surtout pour des questions de déontologie et pour éviter les dérives qui profiteraient toujours aux mêmes.

Prenons la maison d’édition A, et la maison d’édition B. A éditions est un géant du secteur, le big boss. Il publie des auteurs nombreux et à succès. B éditions, en revanche est une petite maison d’édition, entre la microentreprise et la SASU, qui vend peu de livres, fait peu de revenus. Les deux veulent faire appel à une chroniqueuse, et décident de la rémunérer. Bien entendu, la rémunération n’est pas la même. A éditions verse une somme dix fois plus importante à la chroniqueuse que B éditions.

Vous ne voyez pas le problème ? B éditions, qui est discret, ne représente pas un partenaire suffisamment intéressant pour la chroniqueuse. A éditions, par contre… De fait, un biais se met en place. Car A éditions étant plus “généreux”, ce serait idiot de couper la manne financière en se les mettant à dos. Du coup, pour A éditions, ce sera chroniques de complaisance, présence bien plus accrue sur les réseaux sociaux etc. Pour B éditions, une chronique à la mesure de ce qu’elle peut payer. Et encore, on ne parle même pas des autoédités qui débutent et n’ont pas encore de réseau ou encore moins de moyens.

Mais alors, ces critiques cinéma, ces testeurs de jeux vidéos, ces critiques d’art, ces critiques gastronomiques, ces chroniqueurs musique, il faut bien les payer, non ? Bien sûr. Mais ils ne sont pas rémunérés par les producteurs/éditeurs/galeries d’art/restaurateurs. Ils sont rémunérés par leurs médias.

Hah ! Répondra le rusé contradicteur. Ils sont payés par un journal/site etc. Oui. Mais qui paye le journal/site/etc. ? On vous le donne en mille : les lecteurs, la communauté, les followers…

Il existe, bien des façons pour un influenceur d’être rémunéré. Déjà, par les publications sponsorisées, on en a parlé, et c’est indéniable que là, c’est à l’éditeur de le faire, dans son budget com. Mais c’est le seul moment ou un éditeur doit verser un chèque à la chroniqueuse. Sinon, c’est à la communauté de celle-ci de la supporter financièrement. Pages Tipeee, abonnements, partages, “Poces Blos”, afin d’augmenter les audiences (et donc d’attirer l’attention des annonceurs)…

Mais visiblement, demander du soutien à sa communauté semble être un tabou, pour le livre. Pourtant, c’est le seul garant de l’indépendance des chroniqueuses. Elles sont rémunérées pour leur travail par ceux à qui elles s’adressent, et, n’ayant de compte à rendre qu’à eux, sont émulées pour fournir des chroniques de qualité et pertinentes. De là, un cercle vertueux se met en place. Avec la notoriété viennent plus de moyens, des progrès, des annonceurs plus nombreux etc. C’est un fonctionnement qui a été saisi par TOUS les influenceurs dans tous les autres secteurs. De l’adolescent qui streame ses exploits sur Fortnite au vidéaste chevronné.

Les livres ne se mangent pas !

C’est vrai. Surtout les livres numériques. Pourtant, avoir des livres gratuits, pour une chronique, c’est déjà ça (l’alternative, c’est de chroniquer des livres qu’on achète). Parce que les éditeurs et les auteurs autoédités font déjà des frais pour envoyer des livres aux chroniqueuses. Un SP, déjà, c’est un livre qui ne sera pas vendu. On sait que la légende veut que les éditeurs dissimulent des planches à billets, et qu’ils boivent du champagne hors de prix payé par l’argent des auteurs dans les sous-sols aux murs incrustés de rubis du SNE en rigolant très fort, mais en fait c’est faux.

Une nouvelle photo de PC portable, pour la caution futuriste
Crédit photo : Pixabay.

Il est important de détruire une image erronée de l’éditeur. Digression. L’éditeur, contrairement à la croyance populaire, n’est pas l’acteur le mieux payé de la commercialisation du livre. Il est au coude à coude avec l’auteur. La part éditeur classique, c’est entre 10 et 15% (un auteur, c’est entre 8 et 10%, notre avis, c’est que ça ne devrait pas être sous 10%). Le reste du bénéfice d’un livre se partage entre la part libraire (30% à la louche), le fabricant (16%), le diffuseur (11%) et bien sûr l’état (on oublie trop souvent la TVA : 5,5%).

Envoyer gratuitement un livre EST un investissement. Et il est déjà risqué en soi. Dans les faits, même si on répète souvent que les chroniqueuses ont des “obligations”, en fait il n’en est rien, sans contrat. Une chroniqueuse peut prendre un SP, ne pas le lire, et poster en commentaire “C’est bien”. L’éditeur n’a aucun recours (tout au plus ne fera-t-il plus appel à elle). Une chroniqueuse peut très bien prendre le SP, ne pas faire de chronique, l’éditeur n’a aucun recours.

À moins d’être liée par un contrat (qui par ailleurs, comme tout contrat, est négociable), la chroniqueuse ne risque rien si elle ne rend pas sa chronique. Et le préjudice sera partagé entre l’éditeur, et (on l’oublie trop souvent d’ailleurs alors qu’il est présent et important) l’auteur.

Conclusion

Les chroniqueuses doivent être payées, on manque de critique littéraires. Mais pas par les éditeurs. Déjà, par respect pour leurs followers qui leur font confiance pour les guider dans l’achat de leurs livres, et pour les auteurs, car rien n’est plus désagréable pour un auteur que s’entendre dire “On a payé cette personne pour lire votre livre”.

Pour les maison d’éditions ? Peu importe. Les éditeurs évoluent dans les sphères culturelles et économiques. Elles recherchent, il est vrai, le profit (normal pour une entreprise). Et elles s’adapteront. Si une maison d’édition voit une impasse, elle trouvera un autre moyen. Elle fera l’impasse sur les chroniqueuses, sur les SP, et fera ce qu’elle doit toujours faire : s’en remettre aux lecteurs, et s’en remettre aux professionnels de la communication.

Pour notre part, ce débat a été révélateur. Nous avons décidé de ne plus démarcher de chroniqueuses. Pour plusieurs raisons, mais également car nous entendons leurs revendications. Cependant, nous ne pouvons y répondre.

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