La Catabase : voyage en enfer

Dans Soen, Karasu le yokai visite le monde souterrain, en compagnie de ses amis, parmi lesquels Hadès, le maître des lieux. Ce motif de visite des enfers est récurrent en littérature. Principalement dans le registre épique. C’est la catabase (du Grec Kathabàsis qui signifie “Descendre”). Vous avez probablement lu de nombreux textes mythologiques ou non qui contiennent un épisode de catabase. Dans cet article, nous n’allons pas faire une énumération des exemples de catabase, cela serait peu pertinent et nous ne saurions être exhaustifs. En revanche nous vous proposons une réflexion sur cette notion. Après tout, un voyage dans le monde des morts reste un voyage…

La Catabase, un moyen de renouer avec les morts

L’être humain est conscient de sa propre mortalité. Aussi, se pose une question fondamentale pour chaque individu : “Qu’advient-il de Moi après la mort” ? Question centrale à laquelle nous aurons tous la réponse éventuellement, mais nous ne serons alors plus vivant pour l’analyser. L’humain étant une créature ayant besoin de tout conceptualiser, de savoir, des générations entières se sont interrogées. Depuis des temps immémoriaux, les hommes supposent l’existence d’un Au-delà, un monde dans lequel nos âmes immortelles vivront une fois le moment venu de quitter nos enveloppes charnelles.

Cet autre monde évolue selon les croyances et les mœurs. Il s’agit d’une sorte de finalité dans laquelle les individus reçoivent le salaire de la vie qu’ils ont mené sur terre. On y distingue donc un lieu Idyllique (Paradis, Champs-Élysées, Valhalla…) et un lieu terrifiant (Enfer, Tartare, Niflheim…) Une dualité qui est supposée nous guider dans nos choix de vie. Une vie vertueuse nous promet une éternité du bon côté. À l’inverse, c’est une éternité de tourment qui attend les pêcheurs. On peut aussi y voir notre rapport à la mort, entre fascination et peur.

Crédit illustration : Jean Charles Pellerin

Ce monde des morts, que l’imaginaire collectif conceptualise a plusieurs buts : nous permettre d’affronter sereinement notre mortalité, mais également celle de notre entourage. La mort perd son côté définitif et devient alors plus facile à accepter. La catabase sert également parfois de mythe fondateur. Ainsi, on pensera chez les sumériens au mythe d’Inanna, qui descend aux enfers pour renverser sa sœur Ereshkigal, au mythe de Perséphone chez les Grecs ou encore le mythe japonais d’Izanagi et Izanami (qui évoque celui d’Orphée).

Dans ces mythes, des divinités font une incursion dans le monde des morts et même elles, du haut de leur puissance, y laissent une partie d’elles-mêmes. Inanna y laisse son amant (et la sœur de ce dernier), Perséphone doit sacrifier la moitié de sa vie, restant six mois dans le monde des morts et six autres dans celui des vivants, quant à Izanagi, il y laisse sa bien aimée Izanami. Ces mythes prennent par ailleurs pour thème la dualité entre la vie et la mort (par exemple l’alternance des saisons pour le mythe de Perséphone).

Dans ces mythes, la Catabase est l’apanage du divin. Mais ce n’est pas un motif réservé aux seuls dieux. Et la littérature permettra à nombre de personnages d’entreprendre pareil voyage…

Du divin au profane

Nous l’avons vu à travers les exemples précédents, la Catabase était, à l’aube des temps, réservé au divin. Pourtant, à travers les mythes suivants, c’est au tour des héros, les demi-dieux, de s’essayer à la Catabase. Heraklès, Énée, Orphée, Jésus… se rendent aux enfers. Ulysse également. Ce qui est intéressant dans le cas d’Ulysse, c’est qu’il s’agit d’un héros humain, un simple mortel. Il parient donc à réaliser l’impossible : voir le monde des morts et en revenir. C’est l’homme qui a vu la réponse.

Catabase d'Enée descendant aux enfers
Crédit illustration : Johan Wilhelm Baur

Le motif revient au moyen-âge, de façon assez symbolique dans certains romans de chevalerie. Dans Lancelot ou le chevalier de la Charrette, le célèbre chevalier se rend au Royaume de Gorre pour sauver Guenièvre enlevée par Méléagant, fils du roi de ces terres. Ce royaume imaginaire peut être vu comme une transposition de l’Autre Monde Celte. En effet, dans ce roman, Lancelot est une allégorie du Christ. Il reste un homme, mais a un statut légendaire.

Après les héros, c’est au tour des poètes de tenter la Catabase. Dans La Divine Comédie, Dante Alighieri relate sa Catabase (mais pas uniquement, car il va de l’Enfer vers le Paradis, on parle d’Anabase). La Divine Comédie parle à la civilisation occidentale, car c’est sa conception du monde des morts qui est dépeinte.

La Catabase, thématiques

Dans Soen, Karasu et ses amis suivent Hadès qui les guide à travers le dédales des galeries du monde souterrain. En ces lieux, nos héros cherchent des réponses. Sahono, la Sohei de la nature, notamment, y développe le pouvoir de raconter des histoires. Il s’agit d’un modèle qui déjà était utilisé par Homère dans l’Odyssée. En effet, c’est pour chercher des informations, des connaissances qu’Ulysse descend aux enfers, afin de converser avec le devin Tirésias.

La catabase est la descente de l’esprit, soit imaginaire, soit rituelle (ex. : descendre à la grotte d’Éleusis), soit spirituelle »  ; elle a lieu « soit en enfer (ex. : Orphée descendant chercher Eurydice aux Enfers) soit au royaume des morts (ex. : Jésus, selon Matthieu, XXVII), soit à l’intérieur de la Terre (ex. : l’antre de Trophonios) ; le but est nécromantique (acquérir des savoirs ou pouvoirs par les morts), ou chamanique (extase, guérison, recherche des âmes, etc.) ou initiatique (revenir à l’origine ou à ‘l’intérieur’) ou symbolique.

Pierre A. Riffard, Dictionnaire de l’ésotérisme, Payot, 1983, p. 68.

La descente dans le monde des morts vise donc un but pour le héros : acquérir des connaissances inaccessibles au commun des mortels. La catabase est une étape importante du monomythe (concept développé par Joseph Campbell dans son célèbre Héros aux mille et un visages qui postule que toutes les histoires répondent à un schéma narratif commun). Une descente aux enfers représente le moment où le héros est au plus bas, avant de revenir plus fort, que ce soit spirituellement ou même physiquement.

Jugement d'Anubis.
Crédit illustration : John Gardner Wilinson

Avec la catabase, le héros transcende la mort, appuyant avec force son caractère exceptionnel. Il s’agit d’une épreuve obligatoire, une étape nécessaire dans la construction du héros.

Conclusion

La catabase est un marqueur important dans tout récit, principalement mythologique. La saga Soen ne pouvait donc que passer par cette étape (d’autant plus que le maître des lieux sert de guide aux héros). Pourtant, l’autrice subvertit ce motif. Tout d’abord, ce n’est pas le protagoniste qui effectue une catabase, mais plutôt un groupe d’antagonistes. Par ailleurs, chaque membre du groupe s’y rend pour des raisons diverses. Karasu cherche à savoir comment ramener la lumière au Japon, Sahono pense trouver dans le monde souterrain des indices sur les mystères de ce monde, quant à Hadès lui-même, il souhaite trouver un moyen de retrouver sa bien aimée…

Le lecteur attentif nous fera remarquer cependant que nous évoquons une catabase qui se déroule dans le volume précédent. C’est bien vrai. Alors pourquoi parler de catabase alors que le tome 4 de Soen Le Cycle du Mal se déroule dans une ville futuriste ?

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